Je suis né (il y a longtemps) à
Algrange, pays du minerai de fer et de la cokerie (avec le charbon, on fait du
coke pour les hauts fourneaux…).
Puis j’ai vécu quelques années à
Hayange, au pied des hauts-fourneaux et juste à côté de la mine de fer. Cette
mine est devenue aujourd’hui un musée.
Enfin, j’ai déménagé à
Serémange-Erzange, et de la fenêtre de ma chambre je voyais l’épaisse fumée
rouge des aciéries des convertisseurs Bessemer, un des procédés pour fabriquer
l’acier…
Dès l’âge de 14 ans, alors que
je me destinais à des études de chimie, j’ai travaillé dans la sidérurgie,
d’abord au bureau d’étude, puis au laboratoire de spectrographie où nous
analysions les échantillons des fours Martin pour suivre au plus près
l’évolution de la fabrication de l’acier… Quand j’ai passé les 16 ans, j’ai
travaillé comme ouvrier spécialisé dans les laminoirs à froid de…. Florange !
J’ai aussi travaillé avec mon
regretté oncle comme monteur en charpentes métalliques : nous
construisions un hangar qui protégeait les rouleaux des énormes fers à bétons
sortis rougeoyants de la tréfilerie et qu’on faisait se promener lentement pour
qu’ils refroidissent lentement…
J’ai travaillé de nombreuses
années au blooming… Quand le lingot d’acier a été coulé à l’aciérie il
refroidit. On le place dans des fours spéciaux pour le réchauffer à la bonne
température. Mon travail consistait à sortir ce lingot de 12 tonnes de ces
fours de déposer le lingot au début du blooming dans lequel il était écrasé en
y passant à plusieurs reprises pour en faire une brame… Une grande plaque
d’acier. Ensuite cette brame ayant refroidi on la faisait réchauffer dans des
fours pour l’écraser à nouveau dans des laminoirs… Pour en faire de la tôle…
Puis, si besoin, on écrasait encore cette tôle dans les laminoirs à froid…
Voilà tout le circuit : du
haut-fourneau qui produit la fonte, celle–ci entre dans l’aciérie et ensuite
l’acier est façonné…
Superbe travail que celui du
sidérurgiste ! Comme je comprends ceux qui craignent de perdre ce si beau
travail.
Toute ma famille a travaillé
dans la sidérurgie : mes oncles à la mine (de fer) pour certains, d’autres
aux aciéries, mon père au bureau…
Quand je suis rentré à l’école
d’ingénieur, je n’ai pas pu me passer de continuer à passer mes grandes
vacances comme ouvrier de la sidérurgie. Cela me permettait de financer mes
études et cela me passionnait.
Je connais donc la classe
ouvrière. Je sais ce que c’est d’être ouvrier, de travailler dur, de voir
l’acier couler, de ressentir la brûlure de la brame à 800 degrés passer devant
soi et de veiller à donner le bon coup de manettes pour qu’elle aille au bon
endroit dans le bon sens. Une plaque d’acier rougeoyant qui pesait 12
tonnes ! C’était l’été, il faisait très chaud et nos cabines n’étaient pas
toutes climatisées…
De couper la tôle sortie du
laminoir à froid et de se couper à travers les gants en la maniant… De faire
attention de ne pas s’oublier sous la fatigue et de se trancher le poignet.
Se geler les miches à cheval sur
une poutre d’acier à 20 mètres de hauteur à 6 heures du matin et ses les brûler
à midi en plein mois d’août. Ne jamais oublier qu’on est haut, si haut, pour ne
pas tomber !
On était fatigué. Très fatigué.
Ce n’était pas les 35 heures, à l’usine on travaillait 48 heures par semaine en
tournée continue, les 3x8, 7 jours d’affilée, une semaine du matin, une semaine
de l’après-midi, une semaine la nuit… Le plus dur c’était la tournée du
matin : il fallait se lever à 5 heures pour commencer à 6 heures.
Sur le chantier on travaillait
un mois complet sans s’arrêter, 12 heures par jour du lundi au vendredi et le
week-end on se reposait en ne travaillant que 8 heures le samedi et 8 heures le
dimanche.
C’était ça mes vacances
d’étudiant, fils d’immigrés italiens.
Je riais beaucoup intérieurement
quand j’entrais ensuite au PC et que j’entendais ses dirigeants qui n’avaient
jamais rien fait de leurs mains parler de la « classe ouvrière » et
me traiter d’intello ! Tous ces gens qui « dirigeaient » la CGT
ou la jeunesse communiste à 18 ans sans avoir jamais travaillé, ni dans une
usine, ni dans un bureau… et qui ont continué à être permanent du PC.
Je souriais aussi en mai 68
quand j’entendais les « gauchistes » parler de la classe ouvrière,
eux qui étaient originaires de la petite bourgeoisie. Je ris encore aujourd’hui
quand je vois à la télé les Besancenot, les Arlette Laguiller, les Poutou et
autres Arthaud bramer le si beau mot de « travailleur » sans savoir
de quoi ils parlent…
Je ris encore aujourd’hui quand
je vois ici tous ces gens qui se réclament de la classe ouvrière sans jamais
avoir su ce que cela voulait dire ! Qui se permettent de donner des leçons
sans savoir de quoi ils parlent, de se présenter au suffrage des pauvres gens de
ma commune au nom de cette classe ouvrière, dont, pour certains d’entre eux ils
furent les enfants, mais dont ils ne connaissent rien parce qu’ils n’ont jamais
travaillé, classe ouvrière qu’ils trahissent tous les jours par leur mode de
vie et par la politique qu’ils mènent à la mairie…
Les ouvriers de Florange,
eux, savent ce que cela veut dire.
Souvent en bas de chez moi, à
Givors, je croise mon ami Portugais. Il est à la retraite et il me parle de son
travail de maçon. Il me raconte comment il a construit la cité des étoiles où
j’habite. Ces gens qui dirigent la mairie font grand cas de cette architecture,
mais, eux qui se réclament de la classe ouvrière, ont-ils jamais eu un mot, un
seul, pour ceux qui l’ont construite de leurs mains ?
Givors, le 7 décembre 2012
Lire mon livre : Communisme : je m’en suis
sorti !
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